Création: La boîte à lunch

La boîte à lunch  

Quand je me suis levé pour aller à la salle de bain, j’ai aperçu de la lumière dans sa chambre. Sa porte était entrouverte. Lorsqu’il m’a aperçu, il s’est empressé de cacher le cahier dans lequel il écrivait quelques secondes plus tôt. Je lui ai demandé ce qu’il faisait, mais il n’a rien voulu me dire. Il m’a demandé de fermer la lumière. Je suis sorti. Je savais très bien pourquoi il ne dormait pas. Je n’y pouvais rien.

Image tirée de L'Express Ottawa
Pour mon frère, une autre journée va bientôt commencer. Une autre journée qui va ajouter à son calvaire. Nous sommes presque arrivés à l’école et il ne m’a toujours pas adressé la parole. Je l’imite donc. Nous marchons en silence. Dans la cour d’école, nous nous séparons. Je m’en vais rejoindre mes amis et lui, sa bande. Ils ne le saluent pas. Il y en a un qui lui demande de lui donner sa boîte à lunch. Sans réfléchir, il le lui tend.    

Depuis quelques semaines, mon frère néglige ses études. Quand il revient à la maison après l’école, il ne met presque plus de temps pour faire ses devoirs. Normalement, ça lui prend une demi-heure faire son devoir et un quart d’heure pour étudier. Maintenant, il met tout au plus dix minutes pour son devoir et il n’étudie plus.

Un soir, il avait oublié de ranger son devoir dans son sac parce que ma mère lui avait demandé de l’aider pour le souper. Croyant que c’était le mien, j’y ai jeté un coup d’œil. J’ai constaté que sur les dix problèmes de mathématique à résoudre, il y avait seulement deux bonnes réponses. Je ne comprenais pas pourquoi puisque les mathématiques étaient la matière dans laquelle il avait le plus de facilité. Pendant le souper, j’en avais profité pour lui demander s’il avait besoin d’aide pour son devoir. Il m’avait répondu qu’il n’avait pas constaté avoir fait des erreurs et qu’il allait refaire son devoir plus tard. Le lendemain matin, pendant qu’on marchait vers l’école, il m’en a reparlé. Il m’a expliqué que ses copains étaient jaloux de lui parce que l’enseignante le prenait toujours en exemple et le félicitait de ses résultats devant toute la classe. Après, il m’a fait promettre de ne rien dire à personne. Surtout pas à nos parents.

Naïvement, j’avais accepté. En pensant que ça pourrait l’aider et que je serais en mesure de lui apporter le réconfort qu’il lui manque depuis quelques mois, je lui en ai fait la promesse.

Aujourd’hui, je sens que quelque chose d’inhabituel va se produire. Depuis quelques semaines, sa bande et lui se trouvent un endroit à l’écart dans la cour d’école pour discuter. De toute évidence, ils manigancent quelque chose. Mais quoi? Comment savoir? Quand j’essaie de m’approcher de mon frère, ses amis viennent à ma rencontre et m’empêchent de lui parler. Il ose à peine me regarder quand il est en leur compagnie. C’est comme s’il avait oublié ou bien qu’il souhaite oublier qu’on était des frères. Pour quelles raisons? Je n’en sais rien. Il a peut-être honte d’être sous la protection de son grand frère. Je m’en retourne penaud et jette un coup d’œil dans sa direction de temps à autre en jouant au ballon-chasseur. Mes amis me trouvent distant. Je leur dis que tout va bien, qu’ils n’ont pas à s’inquiéter. Deux minutes plus tard, Julien lance le ballon dans ma direction. Je ne réussis pas à l’attraper. Je suis éliminé.

Après l’école, j’attends mon frère devant la porte principale comme à l’habitude. Avec dix minutes de retard, il se manifeste. Il me semble inquiet, comme si quelque chose le tracassait. Il tente de dissimuler ses mains dans ses poches afin que je ne m’aperçoive pas qu’elles tremblent. Je fais comme si je n’avais rien vu. Il tente maladroitement d’entreprendre une conversation, mais son manque de naturel m’inquiète. Il me parle de notre nouvelle maison et me dit qu’il s’y plait bien. Il ment. Je sais pertinemment qu’il la déteste. Puis, voyant que je ne réagis pas, il me demande quels étaient mes cours de la journée. Je lui réponds, sans enthousiasme. Je ne sais pas pourquoi il veut savoir ça. C’est louche. Il m’ouvre peut-être une porte pour que je le questionne sur ses problèmes.

Pendant que je défile les grands événements de ma journée, je ne vois pas arriver ses amis par-derrière. Ils sont quatre à me bloquer le chemin pendant que deux autres me saisissent les bras. Je reconnais les amis de mon frère, mais ne comprends pas ce qui est en train de se passer. Ils m’emmènent dans un parc où je n’ai jamais mis les pieds. J’essaie d’avoir un contact visuel avec mon frère pour savoir ce qui se passe. Il évite mon regard. Je me débats, mais ma force est inférieure à celle de six garçons. Mon frère demeure à l’écart. Je lui crie de m’aider, mais il ne bronche pas. Pris de panique, je lui balance des bêtises. Je l’insulte de toutes les façons possible en continuant de me débattre. Je lui dis que je vais tout dire à nos parents. Il ne bouge pas. Il ne me regarde pas. Je lui en veux de ne pas me venir en aide.

Arrivés dans un coin isolé du parc, ils me forcent à me coucher par terre et continuent de me retenir. Mon frère s’approche de moi. Même s’il met tous ses efforts à cacher ses yeux, je vois des larmes couler sur ses joues. Je comprends alors ce qu’il s’apprête à faire. J’arrête de bouger. Je n’arrive pas à le croire.

Ses amis me tiennent fermement et lui disent qu’il peut y aller. Qu’il doit y aller. Un coup de pied dans les côtes. Pause. Un autre. Pause. Un autre dans l’abdomen. Pause. Feinte d’un autre. Plus rien. Il se met à courir. Ses amis partent à sa poursuite. J’ai mal. Ma respiration est saccadée. Je tousse. Je demeure couché pendant les dix minutes qui suivent la fuite de mon frère.

Quand je sors du parc, je ne sais pas où je me trouve. Je tourne dans la première rue à gauche et mets quelques secondes à retrouver mon chemin. Je suis tout près de la maison.  Je marche lentement. Je suis sans mots.

Comme je m’y attendais, il n’est pas à la maison quand j’arrive. Nous devions demeurer ensemble à la maison en attendant l’arrivée de nos parents. Je me rends dans ma chambre pour y déposer mon sac à dos. Ils vont arriver dans moins d’une heure. Je ne sais pas ce que je vais leur dire. Je m’endors. 

Quand mes parents arrivent, je dors toujours. Je me réveille en gémissant au moment où ma mère effleure mon ventre pour me réveiller. Elle me demande pourquoi je me plains. J’ai reçu un ballon dans le ventre en jouant au ballon-chasseur. Elle me croit sans vérifier l’ampleur de mes blessures. Où est ton frère? Je ne sais pas. Je l’ai attendu après l’école, mais il n’est pas venu. Elle me sermonne pendant quelques minutes. Tu étais responsable de le surveiller. Tu devrais toujours savoir où il est quand vous êtes à l’école.

Elle quitte ma chambre en panique et va rejoindre mon père. Ils sont inquiets. Ils partent en voiture faire une tournée du quartier pour le retrouver. Ils pensent qu’il s’est peut-être perdu au retour de l’école.

Réflexion critique

Note d’intention
Avec mon projet La boîte à lunch, j’ai voulu tenter une nouvelle approche à la violence chez les jeunes en mettant mes personnages dans une réalité qui nous est proche. Selon le site Internet Prevnet, l’intimidation est un problème qui frappe surtout les jeunes et qui est présent à travers le monde. Donc, en faisant vivre à mon personnage principal une situation qui est connue des lecteurs, je pense avoir plus de chance de toucher les gens et de les amener à s’intéresser au phénomène. Il est certain que la situation des enfants-soldats et des gens vivant dans les favelas au Brésil est très touchante, mais elle est tellement loin de notre réalité que c’est difficile de se sentir concerné. Cependant, comme l’intimidation est un phénomène qui est en pleine expansion et qui existe, ici au Québec, voire même ici à Sherbrooke, dans les écoles que les jeunes de notre entourage fréquentent, je pense que ce pourrait être un sujet qui intéresse les lecteurs.

De plus, je voulais réussir à me mettre dans la peau d’un enfant victime d’intimidation pour arriver à mieux comprendre leurs réactions face au problème. En composant moi-même un récit, je pouvais ainsi arriver à créer une situation réelle en réfléchissant aux comportements potentiels d’une victime.

Genre littéraire, contenu et style       
J’ai choisi d’écrire une courte nouvelle pour traiter de l’intimidation parce que je trouvais que c’était une façon simple et efficace d’aborder ce problème. Comme je voulais créer un récit réaliste, je ne crois pas que la poésie ou le théâtre aurait convenu étant donné les contraintes imposées par rapport à la longueur du travail.

En ce qui concerne le contenu, j’ai décidé de raconter un moment majeur dans la vie de Benjamin, celui où il doit agresser son frère sous la demande des autres enfants.  J’ai pensé que de mettre l’accent sur ce moment faciliterait la compréhension du lecteur face à la situation que vit la victime. J’ai choisi de placer mon personnage principal dans une école primaire pour démontrer que l’intimidation ne se manifeste pas seulement chez les jeunes adultes, mais aussi chez les enfants. On a souvent tendance à l’associer au niveau secondaire alors qu’elle est pratiquement partout et même dans les milieux qu’on soupçonne le moins. Le problème avec l’intimidation, c’est qu’elle passe parfois inaperçue puisque les victimes ne savent pas comment gérer le problème et décident de ne pas se confier. Dans mon récit, j’ai accordé beaucoup d’importance à la narration étant donné qu’elle prend toute la place puisqu’il y a très peu de dialogues. J’ai choisi une narration interne, mais avec un narrateur témoin parce que je considérais que ça représentait bien le phénomène de la victime qui demeure dans l’anonymat. Étant donné que le narrateur est le frère de la victime d’intimidation, on peut réellement ressentir l’impuissance du jeune face à la situation. C’était important pour moi de faire ressentir l’impuissance à travers le personnage du grand frère et je pense que j’ai bien réussi.

En ce qui concerne le style littéraire, je le qualifierais de réaliste parce qu’il est tout sauf poétique. Le vocabulaire que j’ai utilisé est simple, au même titre que la construction des phrases. J’ai à quelques reprises inséré des phrases très courtes pour créer un effet d’ironie. Je ne considère mon style littéraire comme étant très original. L’originalité de ma création se situe davantage dans le propos émis et dans l’ambiance créée par la situation et les personnages.

Inspiration
Je dois mon inspiration à un article du journal Rue Frontenac intitulé «Un écolier se tient debout face à l’intimidation» écrit par Gabrielle Duchaine. Cet article raconte le dur périple de Maxime Collard, un jeune âgé de douze ans qui se fait intimider depuis la maternelle à cause de son apparence physique et d’autres raisons totalement aberrantes. En secondaire un, le jeune homme décide de poser des gestes pour mettre fin à sa situation, par exemple créer une page Facebook pour dénoncer l’intimidation.[1] La situation de Maxime m’a beaucoup touchée et j’ai donc eu envie d’écrire en lien avec ce sujet.

Originalité
L’originalité de ma création est qu’elle aborde un sujet très actuel, mais encore trop mitigé et trop tabou. J’ai lu un peu sur l’intimidation sur le site de Prevnet pour me rendre compte que les statistiques quant aux cas d’intimidation témoignent de sa présence et de son expansion à travers le monde. Même si nous n’en sommes pas conscients, plusieurs individus en sont victimes parce que personne n’est à l’abri de ce phénomène.


[1] G. DUCHAINE, Un écolier se tient debout face à l’intimidation, p. 4-5.